Le saviez-vous ? Comment Mamadou Dia a-t-il été « exécuté » par des marabouts au Sénégal ? (Mamadou Dia raconte)
Mis à jour le 13 avril 2021, Mamadou Dia
« Certains marabouts recevaient du pouvoir des prébendes. L’administration coloniale les y avait habitués. Evidemment, avec moi, tout cela n’existait plus. Je prêtais à ceux des chefs religieux qui étaient vraiment travailleurs et qui remboursaient leurs dettes. C’était le cas d’un homme comme Serigne Falilou Mbacké, le Khalife des Mourides. C’étaient des prêts à la production, que je refusais d’accorder aux mauvais payeurs…. »
« Cela, aussi, était un nouveau style qui n’a pas plu. Par ailleurs, la politique de coopération avait touché les intérêts non seulement des traitants, mais aussi de ceux des marabouts qui étaient traitants en même temps. Les ennemis d’un Islam libérateur et porteur de promotion d’une collectivité religieuse éclairée ne sont pas restés les bras croisés. Mon programme concernant l’Islam ne pouvait évidemment pas plaire à une certaine catégorie de marabouts adeptes de l’obscurantisme.
L’apparition des champs collectifs qui faisaient disparaitre les champs dits « du mercredi » ou « tollou Alarba » en Wolof – cette expression prometteuse du travaillisme mouride – au profit des coopératives achèvera de convaincre les adversaires de ma politique de socialisation économique que je constituais un réel danger pour eux.
Toute une stratégie a été déployée alors pour créer la suspicion, voire l’hostilité des milieux religieux envers moi. On a convaincu le Khalife des Mourides que la politique de création et de vulgarisation des champs collectifs de mon gouvernement visait la destruction des « champs du mercredi ». Mon acharnement à consolider les coopératives paysannes avait été, également, présenté comme une volonté de saper l’autorité que la chefferie religieuse exerçait sur le monde rural. On ira plus loin, puisqu’on n’hésitera pas à jouer sur la susceptibilité des confréries pour attribuer à un choix sectaire, une marque de mésestime envers les Mourides, le fait que j’ai prononcé à Tivaouane – et non à Touba – cette allocution en août 1962 qui – en vérité – dérangeait certains.
Toutes sortes de calomnies se donnèrent libre cours : on est allé dire au Khalife des Mourides : « Ce que veut Mamadou Dia, c’est ta destitution ; il va provoquer une réunion des musulmans et il est certain qu’avec les jeunes cadres islamiques qu’il a envoyés à l’étranger, ton autorité va complètement disparaître. C’est contre moi que toutes ces initiatives sont dirigées. »
Evidemment, c’était faux, mais la manœuvre a été payante puisque mon projet de conseil supérieur Islamique n’a pas été soutenu.
J’ai déjà dit qu’une certaine catégorie de marabouts m’était hostile : c’était tous ceux que menaçaient la politique de libération paysanne, par l’éducation populaire et la conscientisation des masses. Ce n’était pas le cas de ceux qu’on appelait – qu’on appelle encore – les grands marabouts. J’entretenais généralement avec ces derniers d’excellents rapports, jusqu’à la crise de 1962.
Je m’étais lié d’amitié avec El Hadj Seydou Nourou Tall depuis la « période de Saint-Louis » dans des circonstances que j’ai évoquées précédemment. Ce petit-fils du grand Almamy El Hadj Oumar me traitait en fils. Il me disait : « Pour moi tu n’es pas un Dia mais un Tall, un petit-fils de Oumar Seydou Tall. » Il vouait à Senghor une affection, à vrai dire, plus calculée. Il nous a soutenus, avec les Khalifes Abacar Sy et Falilou Mbacké, dès la création du Bloc Démocratique Sénégalais. »